19 Août | Santa Irene | J28

Une toute petite vingtaine de kilomètres nous séparent de Santiago. Nous avons déposé nos valises et nos petons endoloris à Santa Irene. Notre auberge, publique, borde la nationale et notamment un tronçon à trois voies sur laquelle les poids lourds lancés à 130 kilomètres/heures s’engagent à dépasser des citadines qui foncent comme des avions sur des pistes de décollage. Pour accéder à notre auberge il nous a fallu traverser cette route. Sitôt fait, nous sommes allés boire une bière pour fêter notre survie. Nous restons quand même stupéfaits par la relation que les espagnols entretiennent avec la route et la très très grande vitesse. Il n’est pas rare de voir une personne âgée assise devant sa maison, sur un siège de camping, les pieds pendants sur la bande d’arrêt d’urgence, regardant les colonnes de de camions passer à une vitesse à lui en défriser les bouclettes et à lui en plâtrer les poumons de carbone. Les terrasses de bar se succèdent aussi, au bord de cette route, où tout s’envole sur les tables à cause des tourbillons de vent provoqués par les véhicules. Je ne vous parle pas du bruit. Je crois d’ailleurs qu’Allan, assis à côté de moi, est en train de me parler. Je vois ses lèvres bouger. Il n’insiste pas. Au pire il fera des signes si c’est grave.

Nous avons hâte de dépasser Santiago. Le chemin, depuis l’apparition des Blancs Mollets, est devenu une épreuve que nous parvenons très difficilement à surmonter. Je veux parler de l’épreuve infligée par la présence massive de personnes qui rendent notre pérégrination paisible en une queue leleu de colonie de vacance où chacun donne de la voix pour épater la galerie, draguer à tout va, où il est question de montrer ses muscles, ses tatouages, de siffloter, de bousculer… Notre quête de tranquillité à nous s’est transformée en une fuite de ces groupes très bruyants. Notre endurance nous permet de les distancer sans peine, surtout dans les montées où ils s’essoufflent, mais si nous dépassons des groupes, ça n’est que pour en retrouver de nouveaux. Nous essayons toutefois de considérer cela comme une épreuve qui nous est proposée. Apprendre à recevoir de tous, en toutes circonstances. Apprendre à nous retrouver et à trouver du plaisir toujours, même au milieu d’un bain d’agitation et de bruits. Nous n’y parvenons pas mais nous essayons. Marie-Claude, rencontrée à Burgos et revue à Sarria nous confiait que pour elle, la pire épreuve du chemin restait la foule des derniers jours. Nous pensions alors à la beauté et à la richesse des paysages de la Galice. Force est de constater que nous ne pouvons en profiter autant que nous le voudrions. Ici les pèlerins ne disent plus bonjour, les cyclistes foncent à nous mettre en danger et tout échange semble impossible, sauf à ce que nous retrouvions nos amies qui, selon nos calculs, devraient se trouver à moins d’une heure de nous. Je pense à Catherine et Françoise, que nous avions quittée à Carrion et qui avaient ce jour-là pris un bus pour Leon. Peut-être aurons-nous le plaisir de les croiser demain sur le chemin, et d’entrer ensemble à Santiago.

Lorsque nous réussissons à être un peu seuls, notamment le matin très tôt, nous profiter de la magie de la région. Les photos ne sont peut-être pas très nettes, mais avec la brume matinale, rien ici n’est très net, ni les sons parfois effrayants. Rien ne peut non plus rendre compte des odeurs qui nous entourent. Si actuellement le diesel domine, avec un léger fumet de gomme de pneu, toute la journée nous avons traversé des forêts d’eucalyptus et croisé des troupeaux de vaches laitières.

Demain nous arriverons donc à Santiago. Cela nous laisse une drôle de sensation, ou plutôt une non-sensation, comme un vide, comme un doute aussi, celui de parvenir au but de la presque totalité des pèlerins sans que cela n’ait de sens pour nous. La dernière fois je n’étais pas entré dans la cathédrale. Je pense qu’Allan, dans la jeunesse de sa conversion, voudra en pousser la porte. Mais très vite nous partirons vers l’océan. Le cap semble relativement peu emprunté par les pèlerins, et notre but serait sans doute plus du côté de cet océan qui nous a toujours bercé et apporté tant de paix.

Nous espérons vivement être en mesure de finir ce chemin à pieds. Ceux-ci sont tout de même très fatigués. Nous sentons les limites physiques et les signaux qui nous indiquent qu’il faudra bientôt passer à autre chose…

Malgré tout, nous sommes là, sans trop savoir où. Effectivement, il n’y a peut-être pas de chemin. Peut-être qu’il n’y en a plus, qu’il n’y en a pas, qu’il n’y en a jamais eu. Nous sommes juste là, quelque part où nous avons voulu être, et nous sommes tous les deux, avec le monde qui tourne très (très) vite autour de nous. Nous sommes heureux. Oh que oui, nous sommes tellement heureux. Etourdis, mais heureux.

Mille pensées vont à vous, tout le temps. A très vite.

Ville de départ : Mélide
Ville d’arrivée : Santa Irene
Distance parcourue : 31,5 km
Durée totale : 7 heures

Distance totale : 788 km

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